Breton de Bretagne, j’ai grandi dans un environnement où la culture régionale reste fortement ancrée. De plus en plus de questions se posent dans certaines grandes régions (Catalogne et Corse pour les plus récentes). J’ai choisi de me plonger dans la manière dont les particularités régionales (traditions, langues…) sont utilisées dans le sport breton.
*Ô Bretagne, mon pays, que j’aime mon pays
Préambule
Les définitions suivantes me semblent être un passage obligé avant de continuer la lecture :
Régionalisme (def. CNRTL) : tendance à conserver ou à cultiver les traits originaux d’une région, d’une province
Nation (def. CNRTL) : groupe humain, généralement assez vaste, dont les membres sont liés par des affinités tenant à un ensemble d’éléments communs ethniques, sociaux (langue, religion, etc.) et subjectifs (traditions historiques, culturelles, etc.) dont la cohérence repose sur une aspiration à former ou à maintenir une communauté
Culture (def. UNESCO) : Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances
Nous sommes à l’ère des états-nations. Bien. Mais ces états-nations sont, comme toute nation, des constructions, dans le sens où elles sont en majorité des regroupements (de gré ou de force) de plusieurs nations (devenues régions dans la configuration stato-nationale). Partant de ce principe les régionalismes seraient l’héritage laissé par ces anciennes nations.
Dans ce qui va suivre j’ai essayé d’identifier des exemples plus ou moins impactants de régionalismes appliqués au sport, des exemples issus principalement du sport Breton mais aussi d’autres régions de l’Europe.
Le cas des langues régionales
Partie émergée de l’iceberg, la langue est un premier aspect de ces régionalismes. En France il y en a 25 parlées à plus ou moins grande échelle. Le breton est utilisé à petite dose par les clubs locaux :
Guingamp à sa Boutik, son Akademi et ses kalons (cœurs, équivalent des socios guingampais). Le Stade Rennais ne garde que le Roazhon Park (Roazhon : Rennes en breton ; officieusement ils cherchaient un nom générique dans le but de vendre le naming du stade mais ils n’ont pas réussi).
Le club qui l’utilise le plus est le RC Vannes (rugby, Pro D2), créateur du #BreizhNation et qui utilise le breton pour ses visuels de match.

Crédits : RC Vannes
Le breton reste absent à Brest, Lorient et Cesson-Rennes malheureusement.
L’utilisation du breton, je ne sais pas pour les autres langues, est à mon sens un passage obligatoire pour tout club breton. En effet cette langue et les symboles qui l’accompagnent (voir plus bas) ont une image très positive en France, image dont il est dommage de se passer quand on cherche à étendre sa notoriété et créer de la proximité.
Je pense que cette utilisation légère de la langue est due au contact léger mais quotidien qui existe : les panneaux de signalisation sont dans les deux langues. Le breton est une langue qui ne se parle plus au quotidien, ce qui m’amène à mon deuxième exemple : le basque.
Régionalisme permis par le statut des autonomies espagnoles, l’enseignement dans les écoles publiques des langues régionales à permis de faire coexister des langues régionales et nationales. Le basque étant toujours parlé, rien ne s’oppose à l’utilisation de celui-ci dans la communication de clubs comme l’Athletic Bilbao (qui utilise le basque, l’espagnol/castillan, le français et l’anglais).

Lettre d’adieu d’Aymeric Laporte dans sa version basque
Le premier club du Pays Basque espagnol utilise le basque comme langue principale. Point commun avec l’autre grand club basque, la Real Sociedad, le site internet est disponible en basque et en espagnol/castillan (notamment). Mais c’est surtout que cette tendance bilingue se vérifie dans d’autres clubs comme le FC Barcelone (Catalogne), Valencia CF (Communauté Valencienne) et Deportivo La Coruña (Galice).
J’ai appris récemment que cet attachement au langues régionales en Espagne était un héritage de l’instauration des autonomies.
On contourne donc parfaitement le côté excluant des langues régionales. En effet, une langue régionale c’est excluant pour celui qui n’en est pas locuteur. Anecdote rapportée par mes grands-parents : quand les bretons ne voulaient pas qu’ils comprennent ce qu’ils disaient, ils passaient tout simplement du français au breton.
L’utilisation d’une langue régionale est donc soumise à deux conditions : elle doit être parlée au quotidien et l’on se doit de proposer un accès à l’information dans la langue commune. Dans le cas où la première de ces conditions n’est pas présente, utiliser la langue de manière intelligente et légère (via de petites références) est à privilégier.
Les hymnes nationaux
Découlant des langues régionales, les hymnes (au sens large du terme) sont eux un moyen parfait pour théâtraliser une rencontre sportive. Ce moment habituellement réservé aux matches internationaux devrait être, à mon sens, utilisé plus souvent dans les clubs.
Si l’entrée des joueurs du RC Vannes est parfois menée par un sonneur de cornemuse, le moment qui précède l’entrée des joueurs est toujours le moment de l’hymne breton (le Bro gozh ma zadoù, le vieux pays de mes pères), interprété a capella par un chanteur local et repris par une grosse partie du stade.
Oui. J’ai dit précédemment que l’on ne parlait pas breton au quotidien mais, même pour les personnes qui ne parlent pas breton (dont moi), ce chant on en connait les paroles (le refrain a minima). Idem pour Hegoak (les ailes en basque), chant traditionnel basque, qui est souvent repris pendant les matches de l’Aviron Bayonnais. Je ne pense pas que le basque soit plus utilisé que le breton pourtant…
Je pense que c’est le fait que la culture régionale soit toujours très forte qui permet le maintien de tels chants. Ce sont des bases communes que l’on connaît sans trop savoir pourquoi mais qui permettent de se retrouver entre initiés, entre locaux. Dans une époque où n’appartenir à rien est devenu la norme c’est quelque chose qui personnellement me transporte.
Malaisant et surjoué… ça ne m’a pas transporté.
Un aparté sur le tournoi des 6 Nations qui se déroule actuellement. J’y voit deux exemples, l’Irlande et le Pays de Galles, d’hymnes chantés dans la langue régionale (par opposition à l’anglais langue commune). Gaélique pour les irlandais avec Amhrán na bhFiann (la chanson d’un soldat), chanté uniquement en Irlande et toujours accompagné de l’Ireland’s Call (plus d’infos sur la génèse du deuxième hymne irlandais ici) pour accompagner l’Irlande unifiée du rugby.
Et gallois pour… Les gallois. Hen Wlad Fy Nhadau, Le Vieux pays de mes pères en français (oui l’hymne breton s’en est inspiré). Dans un pays où les chorales sont très répandues voilà ce que ça donne dans un Millenium Stadium de Cardiff plein :
Là je suis transporté !
Donc, utiliser un hymne en langue régional est une excellente idée, qui plus est simple à mettre en place, pour la Fan Experience. Toutefois il faut que la culture régionale en question soit encore assez forte pour pouvoir être utilisée dans ce but.
Drapeaux et autres symboles
Symbole de la diffusion bretonne car présent dans tous les événements sportifs et culturels, le Gwenn Ha Du et ses hermines sont, contrairement à la langue, utilisés par tous les clubs. Le Stade Brestois, le Stade Rennais, Cesson-Rennes (handball) se servent des hermines et même le HBC Nantes et le FC Nantes (l’hermine étant sur la drapeau de la cité des ducs) les utilisent.
Le FC Lorient reprend lui la totalité du drapeau dans la partie supérieure de son logo quand ce ne sont pas ses supporters qui en font un tifo (image d’illustration, en espérant qu’on les laisse encore faire). Le « champion » bretonnant, l’EA Guingamp, utilise « juste » le triskell (une sorte de croix bretonne à trois branches).
Evidemment le drapeau breton est très présent dans les gradins. Aucune référence à la devise de la Bretagne « Plutôt la mort que la souillure » qui peut être perçue comme trop extrême. On parle quand même d’une hermine qui a préféré faire face à des chasseurs plutôt que de fuir en passant dans une flaque de boue.
Cette utilisation des références culturelles est évidemment commune à la majorité des clubs car les logos puisent dans les emblèmes de la ville, de la région et les origines des clubs.
La Roma a gardé la louve, le Barça reste sur les mêmes symboles depuis 1906 (la dernière version de leur logo date de 2002), Chicago son taureau, etc. Mais on parlera du nouveau logo de la Juventus à la fin.
Utiliser tous les éléments iconographiques à sa disposition devrait être la base de tout club, et ça l’est dans la grande majorité. Toutefois, mondialisation pousse certains clubs à se rendre plus « global » et donc à abandonner une partie de ce qui fait leur histoire en modifiant leurs logos.
« Celui qui ne sais pas d’où il vient ne peut pas savoir où il va » – Antonio Gramsci
Politique, clubs et supporters
Soyons honnêtes, la question bretonne n’est pas un sujet d’actualité et ça se ressent dans les clubs (quoique). La Bretagne n’a pas à ma connaissance de clubs ou de supporters très engagés politiquement. Ce phénomène ne semble pas restreint à la seule Bretagne mais commun à la France en général. Supporters et clubs refusent de s’exprimer politiquement, ce qui n’est pas le cas dans le reste de l’Europe.
Avec les événements récents comment ne pas parler du FC Barcelone. Souvent vue à travers ses exploits européens et sa rivalité avec le Real Madrid (indépendantistes contre unionistes), je trouve que sa prise de position et celle de ses joueurs lors du référendum d’autodétermination (ou la consultation, ou le vote illégal selon là où l’on se positionne) du 1er octobre 2017 n’a eu que peu d’écho en France. Il s’agissait pourtant d’un acte courageux et intelligent dans sa réflexion.

Communiqué officiel du FC Barcelone, prenant partie pour la tenue du référendum et choisissant de fermer le Camp Nou pour un match en signe de protestation face à la réaction de l’Etat central
Evidemment prendre position de manière ponctuelle est une chose mais créer un vrai message politique avec pour base un club de foot relève de la prise de conscience de la place de ces clubs dans la vie locale et du refus de la dépolitisation. Chose assez rare de nos jours mais que j’aime à retrouver personnellement (ça rajoute un supplément d’âme). Et c’est que fait le FC Barcelone avec la culture catalane.
Mais ce n’est pas qu’au club de porter ce message. Parfois ce sont les groupes d’Ultras qui prennent position, comme la Green Brigade du Celtic Glasgow. Ayant déjà vu certains reportages sur le Old Firm, le derby Celtic Glasgow – Glasgow Rangers (ici et un Intérieur Sport que je n’arrive plus à retrouver) j’ai été agréablement surpris de la place qu’à prise ce club de supporters dans la communauté.
Pourquoi régionalisme dans ce cas ? Parce que justement ils cultivent à leur manière les traits originaux des irlandais immigrés en Ecosse. Un trèfle à quatre feuilles au milieu d’un champs de chardons.
Au-delà d’organiser des collectes de fonds (notamment pour aider leur club à payer les amendes de l’UEFA), de nourriture, etc. pour la communauté des Celtics. Ils lient la culture Ultra avec un engagement politique. Supporters de l’IRA et jouant avec son imagerie, anticolonialistes et affichant leur soutien à la Palestine, ils ont pris conscience que les groupes de supporters, dont l’impact social est déjà important, pouvaient voir au-delà d’un impact social primaire (lien social) et devenir un moteur dans la gestion des affaires de la cité (fut-elle restreinte à certains quartiers de Glasgow ou même au Celtic Park).
On peut aimer ou pas la Green Brigade. Toujours est-il qu’à leur niveau, ils tentent de faire bouger les choses.
N’oubliez pas que le sport EST politique.
J’ai souhaité terminer cette partie sur l’Athletic Bilbao (encore) et sa politique de La Cantera. Depuis 1912, le club a mis en place une politique de recrutement basée uniquement sur des joueurs locaux (issus du Pays Basque). Règle non écrite mais appliquée plus ou moins strictement, elle est en totale contradiction avec les règlements internationaux en la matière. Toutefois : « tant que personne ne se plaint, il n’y a pas de problème » dirait un de mes ancien professeur.
La règle est maintenant sujette à de nombreuses dérogations : avoir des origines basques, être du Pays Basque français, avoir été formé au Pays Basque, avoir grandi dans la région ou dans une région limitrophe… Le dernier exemple en date étant Cristian Ganea, international roumain, qui a signé à l’Athletic en janvier dernier et qui a joué dans son adolescence pour des équipes basques.
Bien qu’intéressante du point de vue de l’environnement football régional (pratique amateur, retombées économiques, savoir-faire, identité de jeu…), cette pratique pose le problème de ce qu’on définit comme nationalité (entre autres). Peut-on se prévaloir comme faisant partie d’une nation (même à l’échelle régionale) uniquement par les liens du sol ou du sang ? Dans ce cas que fait-on de l’appartenance de cœur ?
« Ni Breizhiz a galon » – « Nous Bretons de cœur », premiers mots de l’hymne breton
Pour finir sur cette partie, s’engager politiquement n’est pas quelque chose de commun en France. Le faire me semble pourtant intéressant car cela rajoute de l’âme, du liant dans le stade. L’initiative peut venir du club comme des supporters mais dans le cas où ce sont les supporters qui s’engagent le club devrait soutenir ses supporters à partir du moment où celui-ci est prêt à en assumer les potentielles conséquences.
Conclusion sur l’utilisation des régionalismes dans le sport
Alors ? Jusqu’à quel point peut-on pousser la touche régionale dans un club ?
Tout d’abord, cela dépend du positionnement choisi par le club. En effet jouer sur les sentiments régionalistes c’est risquer de se couper d’une audience à laquelle cela ne parle pas. Dans un deuxième temps je pense que dans le cas de la Bretagne il faut utiliser l’atout régional à fond. Pourquoi ? Parce la Bretagne plaît !
Toutefois pas question d’utiliser le breton au quotidien. Par petites touches, comme peuvent le faire l’EAG et le RCV je trouve ça très bien. On garde ainsi le côté sympathique du breton que l’on peut (que l’on doit ?) agrémenter de références iconographiques (le Gwenn Ha Du, l’hermine, le triskell…) et autres (Bro Gozh, bagad…). L’équilibre me paraît assez simple à trouver cependant.
Dans le cas de la Bretagne, garder un attachement fort au territoire est logique car il n’y a pas de très grands clubs (sportivement) et le tissu économique est plus qu’adapté à ce type de positionnement.
Evidemment je ne parle que de l’exemple breton mais cela dépend fortement de la place que prend encore la culture régionale dans les différents clubs, de l’héritage restant et de l’histoire du club lui-même. Par exemple, je vois mal l’Espanyol de Barcelone devenir catalaniste car il a été créé par des unionistes. Je vois mal aussi le Stade Toulousain se mettre à l’occitan.
Pour en revenir sur le positionnement, si l’on se rêve en marque globale le choix – trop convenu à mon goût – consiste à réduire le nombre de références à cette appartenance régionale. Le premier exemple qui me vient en tête est celui du changement de logo de la Juventus Turin : exit le taureau et la couronne, emblèmes de la ville.
Bonne solution ? On verra avec le temps. En tout cas, entretenir et cultiver ses différences ça me parait essentiel et j’essaie autant que possible de le mettre en place.