Ceci n’est pas une tentative de récupération de buzz de la très belle victoire de l’Ajax sur le Real de Madrid. Il s’agit du lancement d’une nouvelle « série » d’articles sur des vidéos réalisées pour des clubs. Pas de club précis, ni de pays, ni de sport, il me suffit juste d’avoir vu (et aimé) la vidéo pour aller chercher ce qui se cache derrière : des noms, des lieux, des objets… Des légendes finalement.
La vidéo commence par des battements de cœur. Un supporter de l’Ajax se rend à ce qui est encore l’Ajax ArenA (aujourd’hui la Johan Cruyff ArenA) avec un drapeau portant les couleurs du club (blanc/rouge/blanc), son nom complet ainsi que le blason de la ville.
Les battements de cœur permettent de capter l’attention du public et de le mettre dans les meilleures disposition pour recevoir le message qui va suivre.
Le nom « Ajax » référerait directement au héros de la guerre de Troie (pas celle avec Brad Pitt). La version contemporaine (datant de 1991) de ce logo représente donc ce héro en 11 traits, chacun représentant un joueur, en blanc, noir et rouge. Bien que le club ait été créé en 1900, Ajax apparaît seulement en 1925.
Les couleurs sont, elles, issues du blason de la ville. Sur ce blason, la bande noire représente d’ailleurs l’Amstel (le fleuve qui traverse la ville, pas la bière même s’il y a un lien). Les trois croix, symbole largement répandu de la ville, sont des croix de St André (un pêcheur crucifié sur une croix de ce genre, rapport à la ville de pêcheurs qu’a été Amsterdam) et une représentation des « trois maux » que craint la ville : l’eau, le feu et la peste. Il s’agit là d’une interprétation possible, l’autre étant que cela représente la devise de la ville « Héroïque, résolu et charitable ».
La voix off commence : « Chère Europe. Bienvenue. Bienvenue dans notre rêve ».
Quel est ce rêve dont parle la voix ? Ce rêve c’est la Coupe d’Europe. Une Coupe d’Europe qui fuit l’Ajax depuis de longues années (on verra ça plus bas). La vidéo a été publiée en 2017, année qui marque le retour du club parmi les grands d’Europe avec une finale d’Europa League (perdue 2-0 contre Manchester United après avoir éliminé Schalke 04 et l’Olympique Lyonnais), retour en force notamment permis par une jeune génération formée ou non au club. La vidéo a par ailleurs été publiée juste avant cette finale.
On passe alors à des sons de foule, d’archives ou non, et à une image de type pellicule (avec du « grain ») montrant trois coupes UEFA côtes à côtes.
Ces trois coupes (1971-72-73) font référence aux « 1er âge d’or » qu’a connu l’Ajax. Un Ajax qui était alors, à l’instar de l’équipe nationale hollandaise, au sommet du football mondial et européen. Cela m’amène à parler de l’importance des archives, voire d’un musée, pour les institutions que représentent les clubs de football. Avoir des documents, des traces d’un passé, qu’il soit glorieux ou non, c’est démontrer que les valeurs que cherche à transmettre le club ont un ancrage plus profond qu’un storytelling de marque, une légitimité historique.
On retourne aux battements de cœur avec un focus sur le maillot, commençant par un plan serré sur le logo et ses trois étoiles, puis sur un plan large avec le seul maillot accroché sur un cintre en bois. La voix reprend « Je parie que tu nous connais. Tu nous connais grâce à ce célèbre maillot »
Ce maillot est effectivement célèbre et emblématique du club car, comme Monaco et sa diagonale Grace Kelly, celui-ci n’a pas changé depuis très longtemps. Sa composition rouge/blanc/rouge datant de 1912.
La voix continue : « Par la manière dont nous avons réinventé le football ». Des images et des sons d’archives montrant Cruyff et l’équipe du 1er âge d’or entrant sur le terrain.
Cette réinvention du football fait référence au football total hollandais (pour faire simple : on a le ballon tout le monde attaque, on ne l’a pas tout le monde défend), dont l’Ajax était le cœur avec la présence de joueurs comme Cruyff, Rep, Arie Haan… Ce style de jeu a essaimé, notamment à Barcelone où Cruyff retrouvera son coach de l’Ajax, Rinus Michels, et aurait par ailleurs été inspiré par la Hongrie des années 50 (Puskas, Kocsis, etc.).
« Par ces jeunes… » Toujours des images d’archives mais un saut dans le temps avec des images de meilleure qualité et des joueurs plus jeunes et différents.
Qui sont ces jeunes ? On peut voir Rijkaard, Kluivert, Zlatan, Bergkamp et d’autres. Cela fait aussi référence à la réputation de club formateur que possède l’Ajax (Van Der Sar, Blind, Davids, Seedorf, Kluivert…) et qui perdure aujourd’hui (Sneijder, Stekelenburg, Heitinga, Van Der Vaart, Babel…). Ils ont aussi révélé plusieurs jeunes joueurs tels que Zlatan, Suarez et Huntelaar (parti puis revenu au club par ailleurs).
C’est grâce à cette formation que l’Ajax a vécu un 2e âge d’or dont nous allons parler maintenant.
« …Devenus des légendes » Les sons d’époques continuent, accompagnés par la musique de la Ligue des Champions, accompagnant la levée du trophée
Ces « légendes » qui lèvent le trophée c’est l’équipe du 2e âge d’or, gagnante de la Ligue des Champions 95, avec une majorité de joueurs formés au club. Ce 2e âge d’or va d’ailleurs au-delà de cette seule victoire avec une Coupe UEFA en 92, une finale de LDC en 96 et une demie en 97.
« Et aujourd’hui ? » Une sirène de police retenti, on voit Hakim Ziyech de face. « Nous sommes les mêmes. Nous n’avons pas changé. »
Cette phrase, très statutaire, viens une fois de plus transformer le club en une institution, un objet gravé dans le marbre, qui était là avant nous et qui sera là après nous encore.
« Ici, on se fout de l’âge » avec le passage à un son très urbain, très lourd accompagné d’images de l’équipe actuelle, de supporters ainsi que d’un portait en double de de Ligt et Van de Beek.
Les joueurs en photos avaient respectivement 17 et 19 ans à l’époque, formés au club tous les deux. La musique vient ici donner plus de rythme, rythme qui s’accompagne d’une accélération des images.
« On se fout du statut » sur des images de la demie OL – Ajax et des tensions entre Lacazette et Morel et des joueurs de l’Ajax dont le n°10, Davy Klassen.
L’OL et ses joueurs présentaient alors une trajectoire similaire à celle de l’Ajax pour le côté jeunesse mais gardaient un statut de club abonné aux phases finales européennes.
« Ce qui importe c’est la créativité » : petit pont de et triple portrait de Ziyech.
Ziyech, caution créative de l’Ajax 2017.
« La bravoure » : Sanchez qui tacle un attaquant qui se présentait en face à face avec le gardien. Le gardien, Onana, qui se jette dans les pieds de l’attaquant et Klaassen, capitaine à ses heures, qui harangue ses joueurs.
La bravoure est ici symbolisée par la défense et le capitaine. Il est à noter que le brassard de capitaine de l’Ajax n’est rien d’autre que le drapeau de la ville, que l’on retrouve tout au long de la vidéo.
« Nous jouons pour les applaudissements » avec des joueurs réalisant des gestes techniques. « Nous repoussons les limites » : reprise de volée acrobatique et célébration de Sanchez ainsi qu’un triple portrait de ce dernier.
Ici le texte commente l’image et l’image illustre le texte. Les qualités requises pour être un joueur de l’Ajax sont ici listées, amenant petit à petit une notion importante de toute institution.
« Pour la fierté… » : drapeau d’Amsterdam dans une des rues de la ville
Il y a un côté très américain dans ce plan (le fait d’afficher son drapeau à l’entrée de sa maison), une fierté, une appartenance viscérale à la ville et à son histoire, le tout porté par ce drapeau omniprésent dans les rues, sur les dessous-de-verre, les vêtements…
« De la ville » : zoom sur le haut du dos du maillot où figurent les croix de St André, puis une vue du Rijkmuseum.
Ici aussi le texte et l’image sont liés avec toujours ces croix et surtout le Rijkmuseum. Le choix de ce musée (des arts et de la ville d’Amsterdam) ne me semble pas anodin car ce genre d’image s’adresse plutôt aux initiés. En effet il se situe en plein centre-ville mais est moins reconnaissable que le signe IAMSTERDAM situé à son pied et qui attire lui aussi des masses de touristes.

Le Rijkmuseum à droite
« Nous ne pouvons pas acheter un milieu de terrain à 100 millions » : images d’une signature d’un joueur anonymisé ainsi que des images du jeu FIFA avec un joueur qui dab.
Bon. Le joueur dont il est question ici est clairement Paul Pogba. Pour rappel à l’époque c’est 105 millions d’euros qu’avait dépensé Manchester United (l’autre finaliste d’ailleurs) pour le faire venir de la Juventus Turin, faisant ainsi du français le joueur le plus cher de l’histoire (et préfigurant l’inflation généralisée des transferts dans le football).
Le tacle envers les clubs qui dépensent beaucoup dans les transferts est évident. Néanmoins, au-delà de cette pique, cet effet permet de créer un duel, de simuler une sorte de David (Ajax) contre Goliath (ManU). Et les duels font partie des outils de base du storytelling.
« On ne vend pas non plus un milliard de maillots chaque année » avec des images de la boutique de l’Ajax avec les maillots de la saison et la vente de l’un d’eux.
« Mais nous croyons en notre ADN » sur une célébration d’un joueur avec l’équipe, un triple portrait d’Amin Younes, Sanchez et un autre joueur qui célèbrent une victoire, et des joueurs qui portent un but.
L’ADN du club est enfin évoqué, après avoir été listé dans les passages précédents. Club formateur et révélateur de talents, où le club prend le dessus sur les egos, au jeu et aux joueurs reconnus pour leur créativité, où l’on se doit d’être brave, où l’on joue pour le public, pour les fans, pour la ville, le tout avec des moyens limités.
Jouer dans ce club c’est forcément adhérer à cet ADN, c’est adhérer à l’institution, à ses règles, à ses usages. C’est en tout cas ce qu’à essayer de nous faire comprendre toute la vidéo. Institution qui maintiendra (« Je maintiendrai » devise des Pays-Bas) quels que soient les écueils dans le temps.
« Nous jouons avec les stars de demain » grand pont (?) et but de Kasper Dolberg avec un portrait en mouvement de Ziyech.
Encore une fois la voix off insiste sur le fait que l’équipe était très jeune (entre 22 et 23 ans de moyenne d’âge), et remets l’aspect formation et jeunes talents en avant, dans un contexte actuel cette fois-ci.
« Pour celles qui nous manquent chaque jour » avec un maillot de Johan Cruyff entouré de deux halos lumineux et d’images d’archives.
Il s’agit là d’un hommage à Johan Cruyff, décédé la saison passée, et dont on voit ici une sorte de veillée funèbre.
« En créant l’Histoire avec le futur » avec une célébration de l’équipe avec notamment de Ligt torse nu qui harangue la foule, Onana qui célèbre lui aussi, et Lasse Schöne qui célèbre en direction des supporters.
Même s’il ne peut y avoir d’être au temps (Aristote) Je mets Histoire avec une majuscule parce que c’est clairement ce qui est évoqué ici. On est toujours sur cette histoire de formation et de jeunes joueurs à fort potentiel. A noter que les joueurs ne créent pas l’histoire seuls. Ils la créent avec et pour les supporters, ce qui donne une résonance très communautaire à cette phrase.
« Nous sommes l’Ajax » sur un joueur qui shoote dans un poteau de corner, le capitaine qui célèbre et une célébration avec leurs supporters après le match retour à l’extérieur contre l’OL.
Nous c’est les joueurs. C’est les supporters. Ce sont eux qui font le club et le club qui les fait. Cela remet en perspective le fonctionnement de l’institution et sa volonté communautaire. En perspective avec son histoire, ses valeurs et son présent.
A noter que les images vont en s’accélérant à ce moment-là, pour créer un effet de climax avec la dernière phrase.
« Nous sommes de retour » suivi des croix d’Amsterdam
On termine sur un dernier plan. Les mots sont prononcés distinctement, presque avec un point après chaque mot (« WE. ARE. BACK. »). De plus la musique s’arrête brutalement, renforçant notre attention en « coupant » l’un de nos sens. Les croix de St André sont utilisées ici comme un sceau, un cachet « royal », la signature de l’institution sur un document important.
Cette phrase c’est à la fois une sentence, une vérité arbitraire et une promesse. Le « nous » rapporte à l’institution que forme le club, la ville, ses joueurs et ses supporters. La promesse s’adresse à l’Europe, et résonne encore aujourd’hui avec leur qualification en quarts de finale de la LDC cette année.
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